cynisme politique et ses rapports troubles avec le fascisme

Publié le 09/11/2011 à 06:55 par youcefbenzatat Tags : révolutions arabes faschisme

Le cynisme politique ambiant et ses rapports troubles avec le fascisme

Selon Hannah Arendt, le fascisme ne peut vivre que par une idée de mouvement qui se reproduit sans cesse et qui s’accélère, au point que dans l’histoire du fascisme, plus la guerre risque d’être perdue par les fascistes, plus son exaspération et son accélération s’intensifient.

Le processus révolutionnaire arabe en cours, qui s’est donné comme objectif le démantèlement du système de pouvoir totalitaire, continue à se poursuivre dans une conjoncture caractérisée par une grande incertitude, engendrée par une forte résistance au changement. Les derniers développements, que ce soit en Tunisie, en Libye, ou en Égypte, montrent bien la perspective vers laquelle est en train de s’orienter la transition politique, en confirmant de plus en plus la tendance vers cette incertitude. C’est une transition qui est conduite dans l’indifférence d’un « réformisme », dont la substance ne se résume qu’à sa simple référenciation. Le recours au concept de réformisme n’est déployé que sous forme d’argument électoraliste générique (Tunisie, Égypte…), et pour le maintien au pouvoir par les nationalistes conservateurs (Algérie, Syrie, Yémen…), sans aucune perspective d’impact significatif sur la transformation du statut personnel pouvant conduire vers l’avènement de la citoyenneté. C’est une transition, qui semble aller vers la reconduction de toutes les aliénations et les enchaînements antérieurs, propres aux conservatismes du substrat culturel arabo-islamique dans sa négation de la citoyenneté souveraine. Cette action réformiste ne semble a priori, véhiculer aucun signe de changement concret pouvant réaliser les ajustements nécessaires au rehaussement de l’individu du statut de sujet à celui de citoyen libre. En toute logique, ces développements auront certainement pour conséquence de compromettre le devenir citoyen des populations arabes, qui n’auront d’autres choix, que de composer avec le statut personnel hérité de la période précédant la révolution ou continuer à se battre pour leur émancipation dans un rapport de forces inégal, et désormais en leur défaveur, dont ils portent eux-mêmes une part de responsabilité du fait de leur profonde aliénation dans ces valeurs conservatrices.

Dans cette situation d’immobilisme endémique, qui se profile en ne rencontrant aucune réelle opposition active de la part de la société civile progressiste, ni intervention permanente dans un débat engagé de la part de l’élite intellectuelle moderniste, jusque-là absente ! il y a de fortes probabilités de voir la régression politique s’exacerber et l’état de conscience pré politique des sujets se consolider. Déjà par le passé, la révolution algérienne en1962, libyenne en 1969 et tunisienne en 1956, malgré leur triomphe, n’ont rien changé à l’ordre établi, plutôt elles l’ont préservé, et l’ont même renforcé, et les sources d’aliénation ont été institutionalisées (inscription de l’Islam comme religion d’État dans la Constitution, élaborations juridiques du code de la famille et du statut personnel à partir de la chari’a islamique), avec une exception dans les textes partiellement pour le cas tunisien, mais sans impact significatif sur le conservatisme de la société.

 Il est à craindre aussi, avec la tendance au développement de l’islam politique de ces dernières décennies, que le statut personnel ne sera pas seulement maintenu au stade pré politique, mais renforcé et l’individu étroitement surveillé dans son comportement, jusqu’aux derniers retranchements de son intimité ! dans une « chasse aux sorcières », comme c’est le cas en Algérie, contre les non jeûneurs et les femmes isolées, et en Tunisie contre la liberté de création artistique. Ceci, malgré les garanties que s’efforcent de promettre les islamistes « modérés », de ne pas islamiser les constitutions, dans un double langage trompeur, qui ne pourra faire oublier l’apparent oxymore de cette « modération ».

Devant cette perspective de reconduction des mêmes mécanismes de domination et de privation des libertés individuelles, par un « néo-totalitarisme», sous une forme ou une autre (islamiste ou nationaliste conservateur), qui se profile partout, en prévision de l’issue du processus révolutionnaire en cours, la société arabe court à sa perte et sa paix civile risque encore une fois de s’exposer au pire. Car, la « masse d’individus » qui compose généralement la population de ces sociétés, jeune à de très fortes proportions, qui aspire, elle aussi, comme les indignés partout dans le monde, à son implication dans les processus de mondialisation de la culture, de la politique et de l’économie, à la quête de conditions de libertés individuelles et de justice sociale et économique, se trouvera toujours contrariée dans ces conditions par la reconduction de ces mêmes mécanismes de domination et de privation des libertés individuelles.

Cette aspiration à la libération, qui a surtout été acquise grâce au développement exponentiel des technologies de communication et de l’information, que la censure traditionnelle et les actions de dépolitisation exercées par le pouvoir totalitaire déchu, qui ont volé en éclats à l’occasion, et qui se sont avérées obsolètes et impuissantes à faire face à ce nouvel outil révolutionnaire, doit se confronter continuellement dans ces conditions renouvelées à un obstacle de très grande ampleur, que représente une stratégie contre-révolutionnaire très sophistiquée, de la part de forces réactionnaires très puissantes (intérieures et extérieures au monde arabe), dont le combat contre ces forces semble a priori désespéré, tellement le rapport de forces est considérablement inégal. Dans ce cas, l’impérative persévérance dans le combat pour surmonter cet obstacle fâcheux par son caractère cynique et contre révolutionnaire nécessite que cette même arme révolutionnaire soit réappropriée et réadaptée au développement et à la sophistication conséquente de ces stratégies contre révolutionnaires. Qu’elle soit en permanence réinventée et redéployée sans fléchissement, aussi bien par la masse des jeunes engagés dans ce processus révolutionnaire de libération, que par les intellectuels éclairés, dont la contribution doit être entendue comme un devoir de participation responsable et nécessaire, par une détermination sans failles et un engagement permanent dans le combat de ce précieux moment historique, qui porte en lui toutes les potentialités d’un devenir où toutes les contraintes à la libération peuvent voler en éclats. Un combat qui pourra être très long, et dont celui que mène en ce moment difficile le peuple syrien, bahreini, yéménite et la résignation des peuples algériens et marocains, ne semble être qu’à son balbutiement. Car, le processus révolutionnaire en cours mené par des peuples longtemps exclus des décisions qui présidaient à leur existence, s’oriente de plus en plus vers cette incertitude où, encore une fois, leur existence tend à échapper à leur auto-détermination souveraine, celle des peuples et non celle des États, qui ne l’a jamais été du reste, car, hypothéquée en permanence par les forces néo-colonialistes en échange du pouvoir  de domination sur leurs propres peuples, qu’ils leur sous-traitent. C’est à une contre-révolution cynique qu’ils doivent aujourd’hui se confronter, pour prétendre accéder au statut de citoyenneté à part entière. Seule condition pouvant leur  procurer la garantie nécessaire à la souveraineté de leur destinée. En fait, ils sont confrontés à des menaces contre révolutionnaires, aussi bien des résidus de l’ancien système politique totalitaire en cours de déchéance, que celui d’un potentiel totalitarisme sous couvert d’un islam politique dit « modéré », instrumentalisé par une contre-révolution cynique, orchestrée par les visées hégémoniques des forces impérialo-sionistes et leurs valets du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Les conséquences que peut engendrer un tel reflux risqueraient d’autre part, d’avoir des incidences incontrôlables sur la paix civile ou provoquer une régression politique durable.

Les premiers symptômes de cette contre-révolution, à laquelle les peuples arabes sont aujourd’hui confrontés, se sont manifestés en même temps que le déclenchement du processus révolutionnaire dans lequel ils se sont engagés. Si dans un premier temps les médias occidentaux et particulièrement français, sous l’effet de la surprise et comme pour rattraper le grossier et honteux lapsus de la ministre Michèle Alliot-Marie à soutenir la répression du soulèvement populaire en Tunisie, qui a évolué ensuite en un passage à l’acte de l’OTAN par l’assassinat du Président Muammar El Gueddafi et la main basse sur le pétrole libyen, en violant la résolution 1973, ont loué ce qu’ils ont qualifié de « printemps arabe », de façon spontanée avec beaucoup trop de naïveté  et de précipitation médiatique, la réalité des calculs stratégiques les a vite rattrapés et recadrés et la machine de la censure et de la manipulation s’est vite ébranlée. La censure au détriment des forces démocratiques et progressistes arabes, déjà valide, sera renforcée et le concept de l’islamisme politique « modéré » sera privilégié comme mode manipulatoire vers quoi devra s’orienter leur stratégie. Il sera par la suite mis en avant systématiquement à travers les analyses de l'intelligentsia médiatique, aussi bien occidentales qu’arabes elles-mêmes. À partir de ce moment-là ! le « printemps arabe » deviendra l’« hiver islamique » comme alibi à la pression sur les futures classes dirigeantes émergentes, et fonctionnera paradoxalement comme un leurre, qu’il faut privilégier et « surveiller » à la fois. Cette stratégie sera relayée par une rhétorique classique chargée de délires islamophobes et d’intimidations de toutes sortes pour freiner l’ardeur révolutionnaire. Dans la foulée, la censure s’institutionnalise et frappe dorénavant, sans discrimination, tous ceux qui se mettent aux travers des arrière-pensées des chancelleries occidentales, jusqu’aux intellectuels français eux-mêmes, dont Pascal Boniface, connu pour son franc parler, subira les frais. On justifia alors, l’inoffensivité de l’islamisme politique « modéré », au détriment des salafistes considérés comme plus radicaux, et on attribua les raisons de l’avènement de cet islam politique dit « modéré » au détriment des forces démocrates et progressistes, du fait du conservatisme de la société et non de son ancrage dans l’Islam politique, comme si le conservatisme de la société est indissociable de l’islamisme ? Cette aberrante distinction volontaire entre islamisme et conservatisme ! exprime une volonté de diversion afin de discréditer les craintes exprimées par les forces démocratiques et progressistes en termes de reflux, au profit des forces identifiées comme un islamisme « modéré », pour mieux tromper et manipuler encore une fois les opinions publiques et maintenir volontairement les peuples arabes dans une conscience pré politique pour rendre leur domination insoupçonnée.

Dans cette perspective, les attaques en traître sous forme d’ingérences dans le processus révolutionnaire en cours, par des menaces sous forme de mises en garde de la part des chancelleries occidentales et relayées par leurs médias aux abois  à l’adresse des pouvoirs émergents dans le nouveau champ politique, qui est en train de se dessiner dans ces premiers instants post-révolutionnaires, traduisent une volonté contre révolutionnaire directe et fâcheuse, dissimulée derrière leur cynique préoccupation pour le sort des droits de l’Homme,  dont l’objectif inavoué et pervers est la privation des droits de l’Homme de ces mêmes peuples arabes dont ils prétendent être les défenseurs. Cette volonté contre révolutionnaire est surtout, l’expression de préoccupations pour leurs intérêts dans la région, menacés par les bouleversements des données politiques engendrées par le sursaut révolutionnaire des peuples arabes contre une situation dont ils étaient les principaux instigateurs par le soutien aveugle et cynique, dans un premier temps, des systèmes totalitaires déchus. La menace se traduit par l’accès de ces peuples aux droits de l’Homme, qui signifie l’accès à la liberté d’expression, à la liberté de conscience, en un mot à la citoyenneté souveraine, dont ils cherchent en permanence à priver, d’ailleurs, d’une manière plus subtile encore leurs propres populations.

Cette offensive, par le déchaînement des médias occidentaux au service de ces visées hégémoniques et les mises en garde de la part de leur diplomatie, avec l’avènement des premiers pouvoirs post-révolutionnaires, est relayée de façon complice et lâche par desmédias arabes soumis à des pouvoirs eux-mêmes vassalisés, alliés aux forces contre révolutionnaires, qui ne sont pas du reste dans cet état de fait et participent activement, volontairement ou involontairement aux côtés des médias occidentaux à l’entretien de cette trajectoire vers le reflux du processus révolutionnaire. Ceux-ci jouent généralement un rôle prépondérant, que ça soit Al Jazeera, El Arabya, ou tout autre média arabe à grande ou petite audience, dont la censure est instituée comme règle. Généralement, contre les discours des forces, qui constituent une résistance aux intrigues contre révolutionnaires. Notamment, celui des forces démocratiques et progressistes, qui luttent pour la séparation du religieux et du politique et pour l’avènement de la citoyenneté au profit de leurs peuples. Ils subissent une censure systématique contre leur visibilité et leurs discours ne sont ni diffusés, ni relayés, ni même pris en compte, contrairement aux « coalitions » porteuses de discours passifs, dits « modérés » ou « conservateurs », qui bénéficient d’une très grande audience, particulièrement les islamistes. D’autant que ces derniers reçoivent du soutien et des aides financières directement de la Turquie de l’AKP et de l’Arabie Saoudite, du Qatar, et des autres monarchies du Golfe Wahhabite.

Parce que leurs discours, fondés sur le débat contradictoire du principe démocratique, ne peuvent rester passifs dans leurs revendications sur le plan des relations internationales pour être crédibles vis-à-vis de leur opinion publique, les forces démocratiques et progressistes sont amenées à fonder leur politique internationale sur une réelle souveraineté et basée sur un principe de réciprocité de fait, aussi bien au niveau des termes de la négociation des échanges économiques et commerciaux dans le cadre de la mondialisation, que celui de la solidarité avec le peuple palestinien, ou l’indignation avec laquelle ils revendiquent la comptabilisation des passifs de violations des droits de l’Homme et de toutes sortes de crimes, dont les sociétés arabes ont été victimes dans l’impunité et sans leur reconnaissance depuis la nuit coloniale.   Car, la neutralisation des forces démocratiques et progressistes par les forces contre révolutionnaires est motivée principalement par la neutralisation de toute solidarité active aux côtés de la Palestine au détriment de l’allié israélien, et de taire les revendications de ce peuple contre la confiscation de ses terres, la déportation de ses populations, la destruction systématique de son économie, de son habitat, de son infrastructure éducative et sanitaire, de son blocus permanent, en un mot de son apartheid. Faire taire la contestation contre la destruction de ses lieux de culte, l’effacement des traces archéologiques de sa civilisation antique. Faire taire la contestation contre les crimes de guerre permanents, les assassinats ciblés, les emprisonnements arbitraires. Faire taire également la contestation pour la comptabilisation d’une manière très ferme des passifs multiples de la période coloniale algérienne, en matière de crimes contre l’humanité, crimes de guerre, crimes d’État, tentative ethnocidaire, en des crimes abjects, tels, les enfumades, les étouffoirs, la torture, les ratonnades, les noyades, les viols, les destructions des infrastructures, la pollution radioactive de l’environnement, les déportations, les pillages des richesses et les humiliations de toutes sortes. Faire taire les crimes et abominations contre le peuple irakien tout récemment et contre les musulmans généralement depuis le 11 Septembre 2001. La neutralisation des forces démocratiques et progressistes signifie objectivement la neutralisation du droit international.

Le paradoxe est, que la solution de l'islam politique « modéré » est celle qui convient et arrange au mieux, aussi bien les chancelleries occidentales, que leurs alliés du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Même si le système politique de ces derniers est théocratique et recourt à la chari’a comme unique source législative, et représentant l’islam politique le plus radical, le plus archaïque et le plus répressif à l’égard des droits de l’homme, dont la paix civile est garantie par la répartition généreuse de la rente pétrolière massive dont ils disposent, conjuguée à une prédisposition répressive très violente contre toute initiative de contestation de l’ordre établi, leurs alliés et protecteurs ne trouvent rien à redire. Et tant pis pour les droits de l’homme, qui n’ont jamais été leur souci d’ailleurs, excepté dans les rhétoriques populistes, pour les besoins de la propagande. C’est mieux ainsi et ça arrange aussi bien les tribus régnantes archaïquement sur leurs sujets, que les ambitions des forces hégémoniques impérialo-sionistes, qui trouvent dans cette situation une garantie de stabilité politique et une assurance pour leurs intérêts. Les peuples de ces théocraties sont strictement policés et il est à la limite, considéré comme un « blasphème » toute initiative de contestation de l’ordre établi, et chaque tentative est réprimée très violemment avec une aide très organisée et très efficace de leurs alliés, à l’exemple des révoltes du peuple bahreini, qui sont étouffées à la racine : absence totale de leur médiatisation, répression violente de chaque manifestation et assassinat ou déportation vers des endroits tenus secrets de tous meneurs ou leaders.

Les instigateurs des intrigues contre révolutionnaires, qui après avoir soutenu et protégé les dictatures croupions, déchues ou en cours de déchéance, dans un premier temps pour mieux maintenir les sociétés arabes sous leur domination, en les privant d’accès à des systèmes politiques démocratiques, afin de les maintenir dans un état de conscience pré politique, continuent à entretenir ce même objectif inavoué, d’empêcher par tous les moyens qu'un débat contradictoire puisse être à la base des décisions politiques, économiques et de politiques internationales, difficile pour eux à contrôler, à orienter et à manipuler, sinon par la violence et les violations du droit international. Leur stratégie consiste à éviter de recourir le moins possible à cette solution bruyante, source de dégradation de leur image vis-à-vis de leur opinion publique, qui les décrédibiliserait davantage. En poussant leur cynisme à outrance, c’est un islamisme « modéré », à tendance conservatrice et archaïque, qu’ils jugent convenir au mieux pour remplacer les nationalistes conservateurs déchus, ni plus, ni moins. Tout compte fait, leurs prétentions dominatrices et hégémoniques et leur objectif d’accès aux richesses qu’ils convoitent seraient plus faciles à réaliser avec la complicité d'une classe politique « molle » (terme qui nous semble mieux convenir à la situation), plutôt que « modérée », et à tendance conservatrice, facilement maniable et très perméable à la corruption, dont bénéficient directement toutes sortes de commanditaires et commis derrières les échanges économiques et commerciaux à l'insu de leurs propres populations, victimes à leur tour de la manière dont la mondialisation est orchestrée. Cette situation est contestée chez eux-mêmes par le mouvement des indignés, qui subissent à leur tour le même véto de visibilité, et dont le sens de leur contestation est récupéré, aussi bien par leurs propres médias, que ceux des médias arabes. Cette classe politique « molle » serait également plus disposée, pour se maintenir au pouvoir, à adopter une attitude passive sur tous les différends et les passifs déjà cités, quitte à réprimer tout mécontentement et toute contestation populaire, qui sera facilement passée sous silence par les organisations internationales acquises d’emblée aux forces hégémoniques, dont elles sont les premières bénéficiaires.

Car, un islamisme, qui tendrait un peu plus vers le salafisme, d’autant plus, qu’il ne peut acheter la paix sociale par une rente abondante, qui lui fait défaut dans la plupart des cas, serait porteur d’un discours plus patriotique, équivalant au patriotisme du discours des forces démocrates et progressistes, afin qu’il puisse, lui aussi satisfaire aux attentes des revendications populaires ajustées à leur insu à sa rhétorique, pour se maintenir au pouvoir, serait une source de mise en péril des visées hégémoniques contre révolutionnaires. À l’exemple du système de pouvoir de l’Iran, qui est obligé d’adopter cette ligne idéologique radicale, de résister à la pression permanente de ces forces contre révolutionnaires dans une fuite en avant sans fin, par l’intensification de sa stratégie provocatrice pour satisfaire son opinion publique, qui lui garantira le maintien au pouvoir. Devant cette situation de résistance à leurs prétentions hégémoniques par l’islamisme politique radical, ces forces contre révolutionnaires n’ont d’autres choix que de recourir à la menace permanente et au recours à l’agression militaire, caractéristique d’une violation cynique du droit international.

Cette situation de conflit permanent entre l’islamisme radical et les forces contre révolutionnaires s’est intensifiée sourdement à l’occasion du processus révolutionnaire en cours, et dont chaque camp s’active à neutraliser l’autre, en étant obligé d’adopter une fuite en avant par ses moyens appropriés pour sa survie, pour préserver leurs intérêts aux forces hégémoniques et pour accéder et se maintenir au pouvoir pour les islamistes radicaux. Les démocrates progressistes, disqualifiés d’emblée par la conjoncture qui leur est défavorable, sont tenus à l’écart du conflit et ne représentent qu’un concurrent potentiel, dont l’avènement n’est pas à l’ordre du jour, sauf s’ils s’impliquent davantage dans le combat politique, ce qui rendra le conflit plus compliqué et les fuites en avant plus intenses. Quant à la tendance « molle » de l’islam politique, elle est la soupape qui maintient l’équilibre des énergies déployées par les protagonistes du conflit en assurant le statut quo. Or, cet équilibre est très fébrile, tellement les revendications des uns et les intentions des autres sont contradictoires. Ils n’ont d’autres recours possibles pour arriver à leur fin que dans l’accélération de leur fuite en avant, vers la destruction et la mort. Gilles Deleuze identifie le tracé de ces lignes de fuite, qui sont également des lignes de délire (guerre humanitaire, guerre contre les croisés, choc des civilisations, etc), en une sorte de « schizophrénie », dont chaque type de ligne représente un danger pour soi et pour les autres. Ces lignes sont le signe d’un véritable effondrement : la perte du contrôle sur tout. Elles se mettent à tournoyer sur elles-mêmes et s’enfoncent dans « un trou noir », c’est-à-dire deviennent des lignes de destruction pure et simple. En tant que processus, elles tournent en pure lignes de mort comme possibilité. C’est ici qu’apparaît le plus terrible des dangers, celui, où ces lignes de fuite tournent en lignes d’abolition et de destruction. L’idée de la schizophrénie comme processus, selon lui, implique que ce processus côtoie sans cesse la production d’une espèce de victime de ce processus, y compris d’être soit même victime d’un processus que l’on porte en soi (suicide dans la guerre totale ou le kamikaze). La production du schizophrène en tant qu’entité clinique, qui est fondamentalement et profondément malade, celui qui « saisit » par le processus, emporté par son processus, ne repose sur rien et n’est rien. La distinction qu’il fait entre schizophrénie comme processus et schizophrène comme entité clinique, c’est que la schizophrénie comme processus, c’est l’ensemble de ces tracés de lignes de fuite et la production de l’entité clinique c’est lorsque précisément quelque chose ne peut pas être tenu sur les lignes de fuite (les forces démocratiques et progressistes). Et à ce moment-là ça va tourner, soit en ligne d’abolition, soit en ligne de mort.

Il y a toujours un fascisme potentiel, lorsqu’une ligne de fuite tourne en ligne de mort. Le fascisme implique fondamentalement, contrairement au totalitarisme, l’idée d’un mouvement perpétuel sans objet ni but, c’est ça, un processus. En effet, le processus, c’est un mouvement qui n’a ni objet ni but. Qui n’a qu’un seul objet : son propre accomplissement, c’est-à-dire l’émission des flux qui lui correspondent.

Le fascisme, c’est typiquement un processus de fuite, une ligne de fuite, qui tourne alors immédiatement en ligne mortuaire, mort des autres et mort de soi-même. Ce processus lui donne toutes sortes de signes schizophréniques : le bégaiement ( l’organisation de fuite des images cruelles des pyramides humaines de la prison d’Abu Ghraib, de conversations « secrètes » entre Sarkozy et Obama à la veille d’un projet de destruction de la Syrie et de l’Iran ! l’enchaînement d’innocents dans le camp de Guantanamo hors de portée du droit), les colères diplomatiques, les stéréotypies,etc. Ces signes nourrissent pendant longtemps un style politique, on passe alors, dans une transition lente et insoupçonnable, d’un cynisme où l’on parle comme on vit à un fascisme où l’on vit comme on parle.

Il reste aux forces démocratiques et progressistes une tâche vitale et essentielle à accomplir, s’écarter de ces lignes de fuite, en bannissant tout compromis avec elles, et se tourner vers leur essence et leur raison d’être, c’est-à-dire, rehausser les consciences populaires afin qu’elles puissent canaliser ces lignes de la destruction et de la mort vers leur propre anéantissement. 

                                                                                                           Youcef Benzatat